A la veille du cinquantenaire de mai 68, symbole historique de la jeunesse engagée, la tendance actuelle serait plutôt à déplorer l’écart qui se creuse entre jeunes générations et vie politique. Un postulat que peut illustrer la faible participation des 18 – 24 ans aux dernières échéances électorales : avec 34% d’abstention au deuxième tour des présidentielles et 74% à celui des législatives, c’est la tranche d’âge qui s’est le plus abstenue.
De nouvelles façons de s’engager
Certes, le taux de participation aux élections chez les plus jeunes, de même que leur appartenance à un parti politique, sont en déclin. La génération Y ne semble pas se reconnaître dans les partis politiques, et se méfier des dirigeants et de leur rapport au pouvoir. Cependant, l’évolution de ces marqueurs démocratiques peut être nuancée, lorsqu’on les impute à un phénomène plus large de défiance généralisée vis-à-vis de la sphère politique, quelle que soit la tranche d’âge.
En y regardant de plus près, on se rend compte que les formes d’engagement de la jeunesse se transforment, sans disparaître pour autant. Les jeunes seraient moins disposés qu’auparavant à s’engager dans un parti, ou pour une même cause sur le long terme, optant davantage pour des changements fréquents de causes à défendre, voire des engagements simultanés ; un comportement que le sociologue Jacques Ion décrivait déjà dans les années 1990 sous le nom “d’engagement post-it”. Ainsi, l’ampleur du récent mouvement Nuit Debout, largement impulsé par des étudiants et jeunes actifs, peut témoigner de leur militantisme. De même, le baromètre Djepva (Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative) révèle qu’en France en 2017, 32% des 18-30 ans donnent bénévolement de leurs temps à une association ou à une autre organisation (davantage que leurs voisins européens), ce qui peut également témoigner de leur engagement citoyen.
Par ailleurs, le caractère hyper-connecté de la génération Y se traduit par un développement d’un engagement 2.0, où l’implication dans l’espace public passe par les canaux numériques et digitaux (pétitions en ligne, réseaux sociaux, plateformes de participation, civic techs, etc.). Toujours selon le baromètre Djepva, 41% des 18-30 ans ont signé une pétition ou défendu une cause sur Internet, un blog ou un réseau social (contre 35% en 2015).
Dépolitisation de la jeunesse : le sentiment que leur avis ne compte pas
Bien que l’engagement civique chez les jeunes reste bien présent, ce qui traduit leur volonté d’implication et de participation dans la vie de la Cité, le constat de la défiance grandissante vis-à-vis de la sphère politique peut interpeller, voire se révéler alarmant. La démocratie ne peut fonctionner qu’à une condition : que les citoyens y participent, la fasse vivre. Si le peuple français ne croit plus aux institutions censées le représenter, ou pire, s’il les rejette, alors celles-ci n’ont plus lieu d’être et l’ensemble du système démocratique est menacé. Les jeunes sont l’avenir, ils reprendront le flambeau politique : il est donc particulièrement important de s’interroger sur les raisons de leur dépolitisation, pour y trouver des solutions.
L’un des facteurs pourrait être le sentiment de ne pas être représentés, par des hommes et femmes politiques trop technocratiques, à l’âge moyen élevé (bien que la tendance soit plutôt au rajeunissement des décideurs ces dernières années). Par ailleurs, le rejet du système de partis politiques, déjà décriés depuis longtemps, pourrait également arriver à un point critique : les jeunes ne se reconnaissent résolument pas dans les partis traditionnels, dans l’offre politique “classique”, et s’en détournent. Le manque de confiance en l’avenir, avec un marché du travail saturé, des tensions intérieures et extérieures, ou encore le réchauffement climatique, pourrait également jouer dans cette prise de distance avec les décideurs, que l’on pense en incapacité à résoudre de tels problèmes.
Si l’on peut encore évoquer de nombreux facteurs de l’éloignement des jeunes vis-à-vis de la politique, le baromètre Djepva révèle un axe particulièrement intéressant : les jeunes ont le sentiment de ne pas être entendus, que leur avis ne compte pas. Ainsi, “plus d’un jeune sur deux (55%) estime que son avis ne compte pas réellement au sein des espaces dans lesquels il évolue (entreprise, école, université, association, club de loisir ou de sport, etc.). 30% estime que ce défaut d’écoute est lié à leur âge”. Cette situation s’apparente à un cercle vicieux : moins les jeunes se sentent écoutés, moins ils auront tendance à s’exprimer, et plus il sera difficile de les entendre.
Pour renforcer l’engagement politique de la jeunesse, il semble donc primordial que celle-ci se sente entendue. Il s’agit alors de repenser les modalités du dialogue citoyen entre les jeunes générations et les élus : la jeunesse d’aujourd’hui ne ressemble plus à celle d’hier, ses attentes, ses réalités, son environnement, ont changé. Afin de réinventer la démocratie, de se la réapproprier, les jeunes ont besoin de nouveaux espaces, d’outils qui leur correspondent. Pour la génération que l’on qualifie de “digital natives”, qui recourt quotidiennement aux réseaux sociaux et au web, le numérique constitue une solution particulièrement adaptée.